Un article personnel dans lequel je décris ma vie passée de femme pré-transition d’une vingtaine d’années dans le monde des échecs.
Ce qui suit est un témoignage personnel. Chaque personne est différente, ne généralisez pas à partir de mon cas. TW : misogynie, pensées suicidaires, alcoolisme.
J’ai sérieusement envisagé la transition pour la première fois à 20 ans, en 2008, l’année où je suis devenu entraîneure d’échecs professionnelle. J’avais encore trop peur de dire « Je suis une femme trans » mais mes confidences à mes amis les plus proches étaient des périphrases :
« Je suis une femme bi dans un corps d’homme ».
« Mon plus grand regret est de ne pas être née fille ».
« Si j’avais une baguette magique, je me transformerais pour toujours en femme ».
Et à une amie en particulier : « Tu es la femme que j’aimerais être. »
À l’époque, presque personne ne parlait des personnes trans, sauf pour susciter le rire ou le dégoût. Les personnages de Pedro Almodovar étaient les seules femmes trans inspirantes que je connaissais, comme celles dans le chef-d’œuvre Tout sur ma mère que je suis allée voir deux fois quand j’avais 12 ans. Des femmes adorables, chaleureuses et belles qui se trouvaient être toutes des prostituées.
Cela a établi la dichotomie à laquelle je pensais être confrontée : Ne pas transitionner et vivre en tant qu’entraîneure d’échecs ou transitionner et vivre de la prostitution. J’aurais pu avoir d’autres choix, mais force est d’avouer que les femmes trans sans diplôme manquaient d’opportunités d’emploi en 2008. Et j’ai donc choisi les échecs.
Mon subconscient n’a pas apprécié ce déni de mon identité de genre et me l’a fait payer par une dépression chronique, des cauchemars récurrents et des pensées suicidaires de plus en plus intenses. Pour faire taire mon cerveau, je buvais plus que jamais. Pendant un certain temps, mon petit-déjeuner se composait de café, de cigarettes et d’absinthe. Pendant plus de deux ans, j’ai bu chaque jour jusqu’au trou noir. Paradoxalement, l’idée que le suicide serait toujours possible m’a empêché de le faire. Mais j’étais sûre que je n’arriverais pas à 30 ans.
Tout n’était cependant pas si horrible, et j’ai la chance que ma génération compte de nombreuses joueuses d’échecs françaises talentueuses qui sont aussi les meilleures amies dont on puisse rêver. Je suis à jamais reconnaissante de l’amitié de Mathilde, Fiona, Natacha, Delphine, Pauline et Matoche. Sans ces femmes extraordinaires, je ne serais peut-être pas en vie aujourd’hui.
J’ai essayé de révéler mon genre réel et caché au monde des échecs de temps à autre. J’ai eu un bon début au festival d’échecs de Pardubice 2010 avec 4/5. Je voulais porter une robe en public mais je n’osais pas jouer avec. Fixant mes priorités, j’ai quitté le tournoi et j’ai accompagné mes amis à la salle de jeu en portant la robe d’une amie. Une petite ville de la République tchèque n’était pas l’endroit le plus sûr pour une femme en pré-transition en robe, j’ai donc rapidement changé de vêtements, mais au moins je l’avais fait.
Après un mauvais départ à l’Open international de Nice 2011, j’ai joué ma toute première partie en portant une robe – qu’une amie avait conçue et m’avait offerte. J’ai gagné la partie et j’ai promis que je viendrais à la remise des prix dans la même robe si je gagnais tout le tournoi. Les chances étaient faibles, mais cette motivation supplémentaire s’est avérée bénéfique puisque j’ai remporté le tournoi, bien que j’avais passé chaque nuit dans un club queer.
Je suis venue à la remise des prix en arborant la robe au grand dam des organisateurs qui craignaient que l’élu de cette ville conservatrice de Nice soit choqué. Pendant la séance de photos et devant tout le monde, l’élu m’a empoigné les fesses.
La première fois que j’ai été victime de misogynie aux échecs, c’était des années avant ma transition…
Plus de dix ans ont passé, au cours desquels j’ai essayé d’enterrer et de faire le deuil de mon identité trans. Je ne me mens plus, et j’ai trouvé le courage d’assumer mon genre tout en restant dans le monde des échecs. Presque tous les joueurs que je connais ont accueilli ma transition l’année dernière avec une amabilité dont je n’aurais pas pu rêver à l’âge de 20 ans.
Cependant, tout est encore loin d’être rose, comme je le développerai peut-être dans des articles ultérieurs.
Je voudrais conclure par quelques mots pour mes jeunes sœurs : Je vous vois. J’étais vous. Je vous aime. Essayer d’être quelqu’un d’autre ne fonctionne pas. Si vous êtes à la fois trans et joueuse d’échecs, vous devez trouver le moyen d’être pleinement vous-même. Ensemble, marchons sur le chemin que nos aînées ont courageusement tracé. Plus nous serons nombreuses, plus la route sera facile.